L'adieu aux armes by Ernest Hemingway

Author:Ernest Hemingway [Hemingway, Ernest]
Language: eng
Format: epub, mobi
Publisher: Lotus16
Published: 2011-05-05T12:13:01+00:00

CHAPITRE XXVI

J’allai à la porte et regardai au-dehors. Il ne pleuvait plus, mais il y avait du brouillard.

Montons-nous ? demandai-je à l’aumônier.

Je n’ai que quelques minutes.

Venez.

Nous montâmes l’escalier et entrâmes dans ma chambre. Je me couchai sur le lit de Rinaldi. L’aumônier s’assit sur le mien que mon ordonnance venait de faire. Il faisait noir dans la chambre.

Alors, dit-il. Vous allez tout à fait bien, vraiment ?

Oui. Je suis fatigué, ce soir.

Je suis fatigué aussi, mais sans raison.

Et la guerre ?

Je crois qu’elle va finir bientôt. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai cette impression.

Comment cela ?

Vous connaissez votre major, si doux ? Eh bien, beaucoup de gens sont comme lui maintenant.

Je me sens comme cela moi-même, dis-je.

Nous avons eu un terrible été, dit l’aumônier. (Il avait plus d’assurance que le jour où j’étais parti.) Vous ne saurez jamais ce que ça a été. Mais tout de même, vous avez été là-bas et vous pouvez vous figurer ce que cela peut être. Bien des gens ne se sont rendu compte de la guerre que cet été. Des officiers que je croyais incapables de comprendre comprennent maintenant.

Que va-t-il arriver ?

Je promenais ma main sur la couverture.

Je ne sais pas, mais je crois que ça ne pourra pas continuer bien longtemps.

Que va-t-il arriver ?

On cessera de se battre.

Qui ?

Des deux côtés.

Je l’espère, dis-je.

Vous ne croyez pas ?

Je ne crois pas que des deux côtés on puisse cesser de se battre en même temps.

Je ne pense pas non plus. Ce serait trop demander. Mais quand je constate tous ces changements dans les hommes, je pense que ça ne peut pas continuer.

Qui a été victorieux, cet été ?

Personne.

Les Autrichiens ont été victorieux, dis-je. Ils nous ont empêchés de prendre le San Gabriele. Ils ont été victorieux. Ils ne cesseront pas de se battre.

S’ils pensent comme nous, ils s’arrêteront. Ils ont souffert autant que nous.

Jamais les vainqueurs ne s’arrêtent.

Vous êtes décourageant.

Je vous dis ce que je pense.

Alors vous croyez que ça va continuer indéfiniment ? Il n’arrivera jamais rien ?

Je ne sais pas. Tout ce que je peux vous dire c’est que je ne crois pas que les Autrichiens s’arrêtent tant qu’ils seront victorieux. C’est quand on est vaincu qu’on devient chrétien.

Les Autrichiens sont chrétiens, sauf les Bosniens.

Je ne veux pas dire chrétiens au sens littéral, je veux dire comme Notre-Seigneur.

Il se tut.

Nous sommes plus doux maintenant parce que nous sommes battus. Comment Notre-Seigneur aurait-il été si Pierre l’avait sauvé dans le Jardin des Oliviers ?

Il aurait été tout pareil.

Je ne crois pas, dis-je.

Vous êtes décourageant, dit-il. Je crois que quelque chose va arriver et je ne cesse de prier pour cela. Je l’ai senti déjà bien près.

Il se peut que quelque chose arrive, dis-je, mais ça n’arrivera qu’à nous. S’ils pensaient comme nous, ce serait parfait. Mais ils nous ont battus. Ils pensent différemment.

Bien des soldats ont toujours raisonné ainsi. Ce n’est pas parce qu’ils étaient battus.

Ils étaient battus dès le début. Ils ont été battus le jour où on les a enlevés à leurs fermes pour les enrôler dans l’armée.

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