Thérèse et Isabelle by Leduc Violette

Thérèse et Isabelle by Leduc Violette

Author:Leduc,Violette [Leduc,Violette]
Language: eng
Format: epub
Tags: Roman
Publisher: Gallimard
Published: 2012-03-11T17:20:54+00:00


Nous avons traversé posément la cour d’honneur mais les fleurs, le gazon, les arbres se sont envolés. Le concierge nous a saluées.

Nous avons longé le mur du collège, nous avons entendu la voix d’un professeur de piano, le battement de la mesure avec la règle d’ébène qui traînait toujours sur le piano droit.

— Tu n’es pas contente ?

— Nous étions bien dans le collège.

Nous avons frôlé le mur de Saint-Nicolas : les prêtres enseignaient, des garçons se déchaînaient.

— Je peux te donner le bras ?

— Il faut se méfier, dit Isabelle.

Le tramway, le timbre que nous écoutions dans la cour de récréation montaient vers le collège. Des élèves entendraient le refrain de la petite vitesse. Les boutiques succédèrent aux maisons qui dormaient, la plainte du tramway sur les rails se prolongea au-delà du collège : nous étions en ville.

Isabelle s’arrêta devant l’étalage d’une maroquinerie. Elle voulait que je regarde avec elle le cimetière des choses en daim noir :

— Tu aimes ces trucs-là ?

— J’aime, j’aime… Tu le sais ce que j’aime, dit Isabelle.

J’étais fière de me sentir deux contre la ville.

— Est-ce que tu m’oublieras ? Moi jamais, dit Isabelle.

Elle contemplait un fermoir en strass.

— Tu vivras toujours en moi. Tu mourras avec moi, dis-je.

Je fermais les yeux, j’imaginais qu’elle me parlait à voix basse dans la nuit du dortoir.

J’ai glissé mon bras sous le sien, j’ai pétri sa main gantée, j’ai introduit mon doigt dans le losange, j’ai atteint le creux. La maroquinière désœuvrée nous observait.

— La directrice trouverait que nous nous tenons mal. Oui, donne-moi le bras, dit Isabelle.

Nous sommes reparties, nous avons enjambé la lumière au-dessus d’un clocher. Le timbre douceâtre d’une ambulance a ponctué nos extases, le brimbalement des bidons de lait qui s’entrechoquaient, le conducteur qui somnolait au sommet de la voiture m’ont donné la nostalgie des flaques de boutons-d’or.

Nous courions pour essouffler la liberté, nous courions à côté des cônes d’anthracite de l’entrepôt, nous longions les miroitements bleus, nous nous redressions à proximité des pyramides d’orgueil. Je me souviens du charbonnier à la gueule cabossée que nous intriguions, qui rentrait dans l’entrepôt, je me souviens de ses yeux blancs et de la poussette qu’il conduisait du bout des doigts.

— Que faisons-nous maintenant ? dit Isabelle.

— Je ne sais pas.

— Moi je sais, dit-elle.

— Nous allons nous promener ? Nous allons à la salle d’attente ? Nous allons prendre un billet de quai ? Nous allons goûter dans une pâtisserie ?

Elle renvoya tout cela avec la main.

— J’ai une adresse, dit Isabelle.

— …

— Dis quelque chose. J’ai une adresse pour nous deux. Ça ne te plaît pas ?

Nous trottinions à côté du mur rocailleux d’une fabrique. Un madrier tomba au loin.

— Nous allons à l’hôtel, dit Isabelle. Pas exactement à l’hôtel. Dans une maison.

Je me séparai d’elle.

— Tu ne veux pas ?

— Je ne sais pas ce que c’est.

— C’est une maison avec une dame qui nous recevra. Une dame aimable.

— Comment le sais-tu ?

— C’est un commerce. Elle sera forcément aimable, dit Isabelle.

Nous arrivions sur une place avec une ronde d’arbres tout en moignons.



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