Le Dimanche De La Vie by Raymond Queneau

Author:Raymond Queneau [Queneau, Raymond]
Language: eng
Format: epub, mobi
Tags: Literary, French, Fiction, litt. française, Literary Criticism, General, European
Published: 2011-07-30T23:37:15+00:00

XII

Le dimanche était le jour le plus difficile ; on s’était résigné au cinéma et, pour ne pas discuter sur le choix, on allait toujours au même ; d’autant plus que meussieu Crampon, le directeur, leur réservait toujours deux places.

— Qu’est-ce qui lui prend à Chantal, ronchonnait Julia. Un dimanche ! Nous inviter pour le thé ! Elle est tombée sur la tête. Et justement un jour où il y a Tarzan.

— C’est vraiment pas de veine, acquiesça Valentin qui, lui, était très heureux d’aller à un thé.

Il croyait que ça n’existait que dans Marie-Claire, les thés.

En trois coups de métro, ils arrivèrent chez les Butugra.

— Y a une anguille sous roche, dit Julia. Tu vas voir.

— Le thé, ça change, dit Valentin conciliant. Comme ça, on aura encore faim ce soir pour le gras-double.

— Mon œil, dit Julia. Tout ce qu’ils se risquent à m’offrir, je le bouffe.

— Je finirai bien le gras-double seul, dit Valentin.

— Ils veulent peut-être nous emprunter de l’argent.

— Ils ont l’air bien à leur aise.

— T’y fie pas. Les fonctionnaires tirent toujours le diable par la queue. Et les femmes de fonctionnaires encore plus. Je la connais, ma Chantal.

— Qu’est-ce qu’on fera s’ils veulent nous taper ?

— Alors ça, c’est pas difficile : avec les impôts et les échéances, on n’a pas un radis devant nous.

— Y a aussi le gaz à payer, remarqua Valentin.

— Mêle pas tout. Les impôts et les échéances, ça suffit. Compris ?

— Qu’est-ce qu’on a comme impôts cette année, c’est encore pire que l’année dernière. Où allons-nous !

— Très bien. Les lois sociales, c’est bien joli, mais c’est les fonctionnaires qu’en profitent et les commerçants qui paient.

— Très bien. Je crois qu’on est paré, dit Valentin avec optimisme.

— Et te laisse pas mettre dedans par ton béguin.

— Quel béguin ?

Ils sonnèrent. Une jeune personne agréablement déguisée en soubrette vint leur ouvrir. Julia la regarda d’un œil sévère :

— Ça, c’est du neuf, dit-elle. Y a longtemps que vous êtes ici ma fille ?

— Huit jours, madame.

— Ils sont tombés sur la tête, soupira Julia.

Après les avoir débarrassés de pelures et galurin, la jeune personne agréablement déguisée en soubrette ouvrit une porte en leur indiquant le chemin.

— On sait, on sait, grommela Julie. Je suis venue ici avant toi.

Chantal les attendait, seule. Valentin, d’un rapide coup d’œil, cherche à repérer les tasses à thé et les petits fours, mais il n’aperçoit rien de tel. Sans doute, les apportera-t-on plus tard. Il n’y avait pas non plus d’autres invités, ni de tables de bridge. Il avait essayé d’apprendre le bridge seul, mais sans y parvenir et il y avait renoncé en s’apercevant que dans son coin personne ne connaissait ce jeu-là.

— Tu es dans la lune, Valentin ? dit Chantal en l’embrassant.

Elle avait l’air bonne fille aujourd’hui et pas vamp du tout.

— Dis donc, lui demandait Julia, qu’est-ce que c’est que cette putain que tu as chargée de nous ouvrir la porte ?

— C’est une bonne.

— Tu vas voir ce que ça va te coûter.

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