Une vie by Guy de Maupassant

Une vie by Guy de Maupassant

Author:Guy de Maupassant
Format: epub


IX

Jeanne étant tout à fait remise de ses couches, on se résolut à aller rendre leur visite aux Fourville et à se présenter aussi chez le marquis de Coutelier.

Julien venait d’acheter, dans une vente publique, une nouvelle voiture, un phaéton ne demandant qu’un cheval, afin de pouvoir sortir deux fois par mois.

Elle fut attelée par un jour clair de décembre et, après deux heures de route à travers les plaines normandes, on commença à descendre en un petit vallon dont les flancs étaient boisés, et le fond mis en culture.

Puis, les terres ensemencées furent bientôt remplacées par des prairies, et les prairies par un marécage plein de grands roseaux, secs en cette saison, et dont les longues feuilles bruissaient, pareilles à des rubans jaunes.

Tout à coup, après un brusque détour du val, le château de la Vrillette se montra, adossé d’un côté à la pente boisée et, de l’autre, trempant toute sa muraille dans un grand étang que terminait, en face, un bois de hauts sapins escaladant l’autre versant de la vallée.

Il fallut passer par un antique pont-levis et franchir un vaste portail Louis XIII pour pénétrer dans la cour d’honneur, devant un élégant manoir de la même époque à encadrements de briques, flanqué de tourelles coiffées d’ardoises.

Julien expliquait à Jeanne toutes les parties du bâtiment, en habitué qui le connaît à fond. Il en faisait les honneurs, s’extasiant sur sa beauté : « Regarde-moi ce portail ! Est-ce grandiose une habitation comme ça, hein ? Toute l’autre façade est dans l’étang, avec un perron royal qui descend jusqu’à l’eau ; et quatre barques sont amarrées au bas des marches, deux pour le comte et deux pour la comtesse. Là-bas à droite, là où tu vois le rideau de peupliers, c’est la fin de l’étang ; c’est là que commence la rivière qui va jusqu’à Fécamp. C’est plein de sauvagine ce pays. Le comte adore chasser là-dedans. Voilà une vraie résidence seigneuriale. »

La porte d’entrée s’était ouverte et la pâle comtesse apparut, venant au-devant de ses visiteurs, souriante, vêtue d’une robe traînante comme une châtelaine d’autrefois. Elle semblait la belle dame du lac, née pour ce manoir de conte.

Le salon, à huit fenêtres, en avait quatre ouvrant sur la pièce d’eau et sur le sombre bois de pins qui remontait le coteau juste en face.

La verdure à tons noirs rendait profond, austère et lugubre l’étang ; et, quand le vent soufflait, les gémissements des arbres semblaient la voix du marais.

La comtesse prit les deux mains de Jeanne comme si elle eût été une amie d’enfance, puis elle la fit asseoir et se mit près d’elle, sur une chaise basse, tandis que Julien, en qui toutes les élégances oubliées renaissaient depuis cinq mois, causait, souriait, doux et familier.

La comtesse et lui parlèrent de leurs promenades à cheval. Elle riait un peu de sa manière de monter, l’appelant « le chevalier Trébuche », et il riait aussi, l’ayant baptisée « la reine Amazone ». Un coup de fusil parti sous les fenêtres fit pousser à Jeanne un petit cri.



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