JEAN CHRISTOPHE by ROMAIN ROLLAND

JEAN CHRISTOPHE by ROMAIN ROLLAND

Author:ROMAIN ROLLAND
Language: fr
Format: mobi
Published: 2009-09-23T22:00:00+00:00


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Tandis qu’il se débattait contre les fantômes de la fièvre et contre l’étouffement qui gagnait sa poitrine, il eut vaguement conscience qu’on ouvrait la porte de sa chambre, et qu’une femme entrait, une bougie à la main. Il crut que c’était encore une hallucination. Il voulut parler. Mais il ne put, et retomba. Quand, de loin en loin, une vague de conscience le ramenait à la surface, il sentait qu’on avait soulevé son oreiller, qu’on lui avait mis une couverture sur les pieds, qu’il avait sur le dos quelque chose qui le brûlait; ou il voyait, assise au pied du lit, cette femme, dont la figure ne lui était pas tout à fait inconnue. Puis il vint une autre figure, un médecin qui l’ausculta. Christophe n’entendait pas ce qu’on disait; mais il devina qu’on parlait de le porter à l’hôpital. Il essaya de protester, de crier qu’il ne voulait pas, qu’il voulait mourir ici, seul; mais il ne sortait de sa bouche que des sons incompréhensibles. La femme le comprit pourtant: car elle prit sa défense, et elle le calma. Il s’épuisait à savoir qui elle était. Aussitôt qu’il put formuler une phrase suivie, au prix d’efforts inouïs, il le lui demanda. Elle lui répondit qu’elle était sa voisine de mansarde, qu’elle l’avait entendu gémir de l’autre côté du mur, et qu’elle s’était permis d’entrer, pensant qu’il avait besoin d’aide. Elle le pria respectueusement de ne pas se fatiguer à parler. Il lui obéit. Au reste, il était brisé par l’effort qu’il avait fait; il se tint donc immobile, et se tut, mais son cerveau continuait de travailler, rassemblant péniblement ses souvenirs épars. Où donc l’avait-il vue? Il finit par se rappeler: oui, il l’avait rencontrée dans le couloir des mansardes; elle était domestique, elle se nommait Sidonie.

Les yeux à demi clos, il la regardait, sans qu’elle le vît. Elle était petite, la figure sérieuse, le front bombé, les cheveux relevés, le haut des joues et les tempes découverts, pâles et de forte ossature, le nez court, les yeux bleu-clair, au regard doux et obstiné, les lèvres grosses et serrées, le teint anémié, l’air humble, concentré, un peu raidi. Elle s’occupait de Christophe, avec un dévouement actif et silencieux, sans familiarité, sans se départir jamais de la réserve d’une domestique qui n’oublie pas la différence de classes.

Peu à peu cependant, lorsqu’il alla mieux et qu’il put causer avec elle, la bonhomie affectueuse de Christophe amena Sidonie à lui parler un peu plus librement; mais elle se surveillait toujours; il y avait certaines choses (on le voyait), qu’elle ne disait pas. Elle avait un mélange d’humilité et de fierté. Christophe apprit qu’elle était bretonne. Elle avait laissé au pays son père, dont elle parlait avec beaucoup de discrétion; mais Christophe n’eut pas de peine à deviner qu’il ne faisait rien que boire, se donner du bon temps, et exploiter sa fille; elle se laissait exploiter, sans rien dire, par orgueil; et elle ne manquait jamais de lui envoyer une partie de l’argent de son mois; mais elle n’était pas dupe.



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